Survivre sans arrière-pays : Les 6 leviers de Lee Kuan Yew pour bâtir une nation sans ressources naturelles

« Le monde ne nous doit rien. Nous ne pouvons pas vivre de la mendicité. »
— Lee Kuan Yew
1- De l’histoire coloniale à la vision nationale : ne pas effacer le passé, mais bâtir l’avenir
Au moment de l’indépendance, Lee Kuan Yew (LKY) fait un choix fort : ne pas effacer le passé colonial, mais le comprendre pour mieux construire l’avenir. La statue de Raffles reste à sa place. Plutôt que de changer les noms des rues, il décide de changer le destin du pays.
Pour lui, le véritable combat n’est pas symbolique, il est stratégique : comment faire vivre un pays sans arrière-pays, sans ressources et sans armée ?
Le diagnostic est sans appel : Singapour doit s’industrialiser ou disparaître.
« Nous n’avions aucun désir de réécrire le passé et de nous ériger en héros. Notre priorité était la survie. »
2- Industrialiser sans capital : faire feu de tout bois
Avant de se lancer dans la grande industrie, Lee Kuan Yew cherche une solution immédiate pour créer des emplois.
Un industriel local lui souffle une idée : le tourisme. C’est un secteur qui demande peu de capital mais beaucoup de main-d’œuvre — cuisiniers, guides, chauffeurs, serveurs, artisans…
Il crée alors le Conseil de promotion du tourisme de Singapour, qui permet de faire circuler l’argent dans les poches vides. Mais ce n’est qu’un début.
Très vite, il comprend que la vraie bataille est ailleurs : dans les usines et les ateliers.
Singapour lance la production locale de biens simples (cosmétiques, textiles, jouets, produits d’entretien…) et attire des investisseurs de Hong Kong, Taïwan et du Japon pour y implanter des usines.
La création du chantier naval de Jurong, en partenariat avec une entreprise japonaise, marque un tournant : Singapour entre dans l’ère industrielle lourde.
« Nous encouragions nos entrepreneurs à fabriquer même des spirales anti-moustiques et de la crème pour cheveux. Chaque emploi comptait. »
3 – Un peuple debout, pas à genoux : la fin de la mentalité d’assistance
Lee Kuan Yew a une conviction profonde : le développement ne se mendie pas.
Il refuse l’idée que Singapour vive grâce à l’aide internationale. Pour lui, la dépendance détruit la dignité d’un peuple.
Il appelle les Singapouriens à croire en eux-mêmes et à se battre pour chaque progrès.
« Si nous voulions réussir, il fallait compter sur nous-mêmes. Le monde ne nous doit rien. »
Cette philosophie forge une culture nationale de responsabilité et de mérite.
Pas de place pour le fatalisme, ni pour la victimisation. Le pays entier apprend à compter sur son travail, sa discipline et son intelligence.
4- Créer la confiance : le véritable capital de Singapour
Lee comprend très tôt que la richesse d’un pays ne réside pas dans ses ressources, mais dans sa crédibilité.
Il décide donc de bâtir la confiance — celle du peuple et celle des investisseurs.
Les routes sont propres, les institutions sont stables, les promesses sont tenues.
« Je savais que la confiance – celle de notre peuple comme celle des investisseurs – était notre bien le plus précieux. »
Chaque détail compte :
- Des routes impeccables depuis l’aéroport jusqu’au centre-ville, symbole d’ordre et de sérieux.
- Une administration efficace, sans corruption.
- Des dirigeants honnêtes et cohérents dans leurs décisions.
Résultat : les grandes entreprises mondiales s’installent. Singapour devient un centre international du raffinage pétrolier et du commerce maritime, attirant des milliards d’investissements.
5- L’État stratège : simplifier, planifier, professionnaliser
Pour faciliter l’investissement et stimuler la production, Lee Kuan Yew crée un guichet unique : le Conseil de développement économique (Economic Development Board).
Cet organisme prend en charge toutes les démarches des investisseurs : terrains, énergie, sécurité, environnement, financement… Une révolution dans la bureaucratie asiatique.
Pour son lancement, le Conseil de développement économique bénéficie de l’appui technique d’experts des Nations unies (PNUD) et de l’Organisation internationale du travail (OIT). À sa tête, Hon Sui Sen – futur ministre des Finances – recrute les meilleurs jeunes diplômés singapouriens, formés dans les universités britanniques, du Commonwealth, puis aux États-Unis. Cette nouvelle élite, disciplinée et pragmatique, devient la cheville ouvrière de l’exécution.
« Nous avons fait du Conseil de développement économique un guichet unique, pour que les investisseurs n’aient pas à naviguer dans un labyrinthe de ministères. »
Ce modèle d’efficacité donnera naissance à deux institutions majeures :
- La Société du parc industriel de Jurong, qui aménage des zones industrielles modernes.
- La Banque de développement de Singapour (DBS), qui finance les entreprises locales.
Ces structures deviennent les bras armés de la transformation économique.
Les jeunes diplômés singapouriens, formés dans les meilleures universités du monde, sont recrutés pour faire fonctionner cette machine d’exécution impeccable.
6- Miser sur l’intelligence : former les cerveaux, transformer les mentalités
Lee Kuan Yew sait qu’un petit pays sans ressources naturelles ne peut compter que sur l’éducation et la compétence.
Il invite les Japonais, Allemands, Français et Néerlandais à ouvrir des centres de formation technique à Singapour.
Chaque ouvrier devient un technicien. Chaque entreprise devient une école.
« Nous avons formé notre peuple pour qu’il offre des services de niveau mondial. Si nous n’étions qu’aussi bons que nos voisins, personne ne viendrait s’implanter chez nous. »
En parallèle, il transforme les entreprises publiques en sociétés autonomes, rentables et performantes.
Cette culture de discipline, rigueur et excellence devient la marque de fabrique de Singapour.
Conclusion:
La vraie ressource d’un pays, c’est le capital humain — à condition qu’il soit bien formé, bien encadré et animé par un sens du devoir.
« Confiance, discipline et compétence — voilà tout ce qu’il faut à une petite nation pour prospérer. » Lee Kuan Yew




