Lee Kuan Yew : Comment il a gagné la bataille des syndicats — et bâti une paix sociale durable

« On ne peut pas bâtir une économie moderne sur le chaos et les grèves. Il faut de la coopération, de la discipline et de la confiance. » Lee Kuan Yew, 1969

Au moment de l’indépendance, Singapour était au bord de l’implosion : chômage massif, instabilité politique, et un climat social dominé par des syndicats politisés, souvent sous influence communiste.
Les grèves étaient quotidiennes, l’économie paralysée, les investisseurs fuyaient.

Face à cette tempête, Lee Kuan Yew a compris une chose essentielle : il ne pouvait pas construire une nation prospère sans gagner la bataille des syndicats.
Mais au lieu de les combattre, il a choisi de les transformer.

Dès ses premières années au pouvoir, Lee Kuan Yew fit un constat lucide :
pour attirer les investissements et créer des emplois, il fallait libérer les syndicats du contrôle communiste et éduquer les dirigeants ouvriers aux réalités économiques.

Il se rendit compte que beaucoup de leaders syndicaux copiaient les pratiques britanniques : grèves à répétition, revendications excessives, et négociations sans souci des conséquences sur les entreprises.
Il reconnut même avoir lui-même contribué à ces dérives dans ses années militantes :

« J’ai moi-même défendu ces méthodes autrefois, mais leurs effets ont été désastreux. Nous avons détruit des emplois au lieu d’en créer. »

Il en tira une leçon fondatrice :

« Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. »

Pour lui, la prospérité des travailleurs dépendait de la bonne santé des entreprises.
Il fallait donc passer d’une logique de confrontation à une logique de coopération économique.

Lee Kuan Yew insista sur la nécessité de recréer une culture de rigueur et d’efficacité.
Il rappela aux syndicalistes :

« Nous avons promis la liberté et la prospérité. Mais pour les réaliser, nous devons rétablir la supervision, la discipline et les normes de travail. »

Dès lors, une nouvelle équation guida le monde du travail singapourien :
➡️ Pas de développement sans productivité.
➡️ Pas de productivité sans discipline.
➡️ Pas de discipline sans leadership.

Il imposa un principe radicalement nouveau :

« Le salaire doit être proportionnel à la performance, non au temps passé au travail. »

Et pour garantir la stabilité, les grèves furent interdites dans les services essentiels.
Chaque organisme public fut doté de son propre syndicat, plus proche des réalités du terrain et moins politisé.

Lee Kuan Yew refusa le piège du manichéisme.
Il savait que défendre un camp contre l’autre reviendrait à détruire l’équilibre.
Il s’adressa donc aussi aux patrons :

« Si les employeurs veulent des travailleurs pleinement engagés, ils doivent être justes. Là où syndicats et employeurs poursuivent des objectifs opposés, le résultat est toujours catastrophique pour l’économie. »

Il appela à une justice mutuelle :

  • Les employeurs devaient garantir des conditions de travail dignes.
  • Les employés devaient donner le meilleur d’eux-mêmes.

Cette relation de confiance devint la base de la stabilité sociale singapourienne.

En 1972, le gouvernement créa le Conseil National des Salaires (National Wages Council – NWC), rassemblant représentants du gouvernement, des employeurs et des syndicats.
Chaque année, cette instance fixait les hausses salariales et les conditions de travail à partir de données économiques réelles : croissance, inflation, productivité.

Le principe était clair et universel :

« Les augmentations de salaires ne doivent jamais dépasser les gains de productivité. »

Cette règle simple évita les surenchères et renforça la compétitivité du pays.
Les décisions se fondaient désormais sur des faits, pas sur des émotions.

À la fin des années 1960, les syndicats perdaient de l’influence : moins de grèves, donc moins de visibilité.
Pour les revitaliser, Lee Kuan Yew et son ministre Devan Nair organisèrent en 1969 un séminaire de modernisation syndicale.

Leur message : “Le syndicat du futur ne doit plus seulement revendiquer, il doit entreprendre.”

C’est ainsi qu’ils créèrent plusieurs coopératives économiques :

  • NTUC Comfort (1970) : société de taxis légale qui mit fin aux “taxis pirates” et créa des emplois stables.
  • NTUC Welcome (1973), devenue FairPrice : chaîne de supermarchés qui maintenait les prix bas pour les familles.
  • NTUC Income (1970) : compagnie d’assurance détenue par les travailleurs, gérée par des experts.

« Les dirigeants syndicaux siégeaient dans les conseils d’administration et comprirent que la réussite dépendait d’une bonne gestion. »

En devenant entrepreneurs, les syndicats cessèrent d’être des bastions idéologiques pour devenir des moteurs du progrès social.

Sous l’impulsion du NTUC, les syndicats investirent dans la qualité de vie de leurs membres :
centres de santé, garderies, stations balnéaires, clubs pour familles ouvrières, logements accessibles.

« Donnez aux gens une part dans la nation, et ils la défendront. »
Cette philosophie transforma la mentalité ouvrière : les travailleurs ne se voyaient plus comme de simples exécutants, mais comme copropriétaires de la prospérité nationale.

En 1990, Lee Kuan Yew appuya la création de l’Institut d’Études du Travail pour enseigner les relations industrielles, la communication et le leadership.
Les dirigeants syndicaux y apprirent à négocier, à gérer des institutions et à penser stratégiquement.

« Nous avons formé une direction syndicale réaliste, consciente des défis économiques et déterminée à y faire face avec pragmatisme. »

Les syndicats devinrent alors une véritable école de gouvernance.

Dans les années 1980, inspiré par le modèle japonais, Lee Kuan Yew lança le Mouvement national de productivité.
Des “Cercles de Qualité” furent créés dans les entreprises : des groupes de travailleurs proposaient eux-mêmes des solutions pour améliorer la qualité, réduire les coûts et éliminer les erreurs.

Les meilleures idées étaient récompensées, les équipes honorées publiquement.
Des experts japonais vinrent former les travailleurs singapouriens.

Mais Lee Kuan Yew resta lucide :

« Les travailleurs japonais sont plus polyvalents, plus disciplinés et moins absents. Nos travailleurs doivent changer leur attitude. »

Il popularisa alors une idée devenue célèbre :

« Il n’y a pas de col bleu ou col blanc à Singapour — seulement des col gris : des hommes et des femmes prêts à tout faire pour que leur pays avance. »

En trente ans, les résultats furent spectaculaires :

  • Le chômage passa de 14 % en 1965 à 1,8 % en 1997.
  • Les salaires réels augmentèrent en moyenne de près de 5 % par an.
  • Le climat social devint un atout économique aux yeux des investisseurs internationaux.

« Ni les lois sévères ni les discours durs n’auraient suffi. Ce qui a convaincu les travailleurs et leurs leaders, c’est notre politique cohérente et nos résultats. »

Les syndicats, autrefois source de blocage, étaient devenus les partenaires du gouvernement dans la création d’emplois et de richesses.

Auteur: Alf SIDIBE

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